Croissance inclusive par l’industrialisation : le moment G20 de l’Afrique du Sud
- Amine Idriss Adoum

- 10 mars
- 4 min de lecture

L’Afrique se trouve à un moment décisif où l’industrialisation doit devenir le moteur d’une croissance économique inclusive. Malgré des années d’expansion du PIB, la dépendance du continent aux exportations de matières premières a limité la création d’emplois et fragilisé sa résilience économique. Il est impératif d’opérer un virage vers la transformation des ressources, le développement manufacturier et l’intégration régionale pour assurer un développement durable. La présidence sud-africaine du G20 en 2025, combinée au nouveau siège permanent de l’Union africaine (UA) au sein de ce forum, représente une opportunité majeure pour inscrire l’industrialisation de l’Afrique au centre des discussions mondiales. Le défi consiste à exploiter cette tribune pour attirer des investissements, renforcer les chaînes de valeur régionales et intégrer les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) dans une transformation économique qui profite à toutes les couches de la société.
L’Agence de développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD) joue un rôle clé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie industrielle africaine. En tant qu’agence de développement de l’UA, elle a été au premier plan de l’application de cadres stratégiques tels que le Plan d’action pour le développement accéléré de l’industrie en Afrique (AIDA) et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), garantissant ainsi que les politiques industrielles s’alignent sur la vision à long terme du continent. Elle a également contribué au développement des infrastructures à travers le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PIDA) et promu des initiatives de renforcement des compétences comme l’Initiative Africa Kaizen, qui a amélioré la productivité de milliers d’entreprises africaines. Cependant, malgré ces avancées, des lacunes persistent dans la mise en œuvre, et la traduction des politiques industrielles en résultats concrets exige une coordination plus efficace, un financement adapté et un engagement politique soutenu.
L’Afrique du Sud et l’UA disposent désormais d’une influence considérable au sein du G20 et doivent conjuguer leurs efforts pour façonner le débat mondial sur l’industrialisation de l’Afrique. La présidence sud-africaine en 2025 constitue une occasion unique de promouvoir des engagements globaux en faveur du financement industriel, de la réforme du commerce, du transfert de technologies et des investissements dans les infrastructures. Parallèlement, le siège permanent de l’UA au G20 garantit que la voix de l’Afrique sera entendue au-delà du mandat sud-africain, institutionnalisant ainsi les priorités du continent au sein du principal forum économique mondial. Ensemble, ils peuvent plaider pour des initiatives visant à élargir les investissements dans le secteur manufacturier africain, à obtenir des conditions commerciales plus justes pour les industries du continent et à mettre en place des mécanismes de financement adaptés à l’industrialisation. L’alignement entre le leadership diplomatique de l’Afrique du Sud et la coordination stratégique de l’UA sera crucial pour mobiliser un soutien international en faveur de la transformation industrielle africaine.
Pour que l’industrialisation soit inclusive, elle doit accorder une priorité aux chaînes de valeur régionales et à l’intégration des MPME. Ces dernières constituent l’épine dorsale de l’économie africaine, mais elles opèrent souvent en marge des grandes industries. Leur intégration dans les réseaux de production régionaux et continentaux garantira que l’industrialisation génère un emploi à grande échelle, stimule l’innovation et favorise la création de richesses locales. Le renforcement des chaînes de valeur régionales permet aux pays africains de se spécialiser dans différentes étapes de la production, améliorant ainsi leur compétitivité tout en répartissant les bénéfices de la croissance industrielle. La ZLECAf offre un cadre propice à cette intégration, mais sa mise en œuvre réussie nécessitera des investissements considérables dans les infrastructures, le financement et le renforcement des capacités. L’initiative des « 100 000 MPME » de l’AUDA-NEPAD illustre comment un soutien ciblé aux petites entreprises peut accroître la productivité, améliorer l’accès aux marchés et créer des emplois. Si elle est renforcée avec l’appui de l’Afrique du Sud, de l’UA et des partenaires au développement, elle pourrait accélérer l’expansion industrielle du continent.
Les expériences internationales offrent des enseignements précieux pour les ambitions industrielles de l’Afrique. L’industrialisation rapide de l’Asie de l’Est repose sur un modèle d’exportation manufacturière, des politiques industrielles volontaristes et une intégration approfondie dans les chaînes de valeur mondiales. Des pays comme la Corée du Sud et la Chine ont soutenu activement le développement de secteurs stratégiques, investi massivement dans l’éducation technique et attiré des capitaux étrangers tout en veillant au transfert de technologies et au renforcement des capacités locales. L’Afrique peut s’inspirer de ces modèles en ciblant des industries où elle possède un avantage comparatif – notamment l’agro-industrie, la pharmacie et la fabrication numérique – et en développant des pôles industriels favorisant la coopération entre les entreprises. Parallèlement, elle doit éviter les erreurs observées dans certaines régions d’Amérique latine, où une libéralisation commerciale prématurée a affaibli les industries locales avant qu’elles n’aient atteint une compétitivité suffisante. Un équilibre prudent entre protection, investissement et intégration est nécessaire pour garantir une croissance industrielle durable.
L’Afrique du Sud et l’UA doivent utiliser leur présence au sein du G20 pour inscrire durablement l’industrialisation africaine parmi les priorités du développement mondial. Parmi les actions concrètes à envisager figurent le lancement d’un Pacte pour l’industrialisation de l’Afrique dans le cadre du G20, l’obtention d’engagements pour l’augmentation des investissements dans l’industrie et les infrastructures, ainsi que l’institutionnalisation d’une consultation annuelle G20-Afrique sur le développement industriel. Ces mesures garantiraient que les ambitions industrielles africaines demeurent une priorité au-delà de la présidence sud-africaine. Les institutions financières du G20 devraient également aligner leur soutien sur les besoins de l’Afrique, en privilégiant des instruments de financement mixte, des zones industrielles et des programmes de transfert de technologies.
L’industrialisation de l’Afrique n’est pas seulement une nécessité économique, mais aussi un impératif social. Une croissance inclusive exige des politiques volontaristes qui autonomisent les femmes, les jeunes et les communautés marginalisées, en garantissant leur accès aux compétences, aux capitaux et aux débouchés commerciaux. Le rôle de l’AUDA-NEPAD dans la coordination des politiques, la mobilisation des ressources et le suivi des progrès demeure essentiel pour combler l’écart entre la vision et l’exécution. L’UA, en tant qu’organe politique et institutionnel du continent, doit renforcer cet agenda en mobilisant les États membres pour qu’ils s’engagent dans des réformes industrielles et leur mise en œuvre. Le leadership de l’Afrique du Sud au sein du G20, combiné à l’engagement stratégique de l’UA, peut accélérer la dynamique vers une Afrique industrialisée, autosuffisante et compétitive à l’échelle mondiale. Si ce moment est pleinement exploité, il pourrait marquer un tournant dans la trajectoire économique du continent, positionnant l’Afrique comme un acteur incontournable du paysage industriel mondial.



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