Innover pour diversifier : un impératif pour profiter pleinement de la ZLECAf
- Amine Idriss Adoum

- 20 mars
- 17 min de lecture

La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) ouvre un marché de 1,3 milliard de consommateurs et 3 400 milliards de dollars de PIB cumulé, offrant une occasion historique d’accélérer la croissance et l’intégration du continent. Cependant, je constate en première personne, en tant qu’Africain engagé, que sans un changement de paradigme profond – notamment une priorité donnée à la recherche et à l’innovation technologique – nos économies risquent de ne pas saisir pleinement cette opportunité. En l’état actuel, la structure de nos économies, trop dépendantes des matières premières et insuffisamment tournées vers la technologie, limite notre capacité à diversifier nos productions, à augmenter la valeur ajoutée locale et à tirer profit du libre-échange intra-africain. Dans cet article, j’expose pourquoi investir davantage dans l’innovation est crucial pour surmonter les défis structurels de l’Afrique, en m’appuyant sur des études récentes, des statistiques parlantes et des exemples sectoriels concrets. Je le fais avec un ton technique mais accessible, en toute transparence sur les faits, et avec la conviction personnelle qui m’anime en tant que candidat au poste de Commissaire ETTIM.
Dépendance aux matières premières : le frein à la diversification
Il est d’abord nécessaire de dresser un état des lieux sans complaisance. Aujourd’hui, la plupart des pays africains restent dépendants de l’exportation de produits de base, qu’il s’agisse de minerais, de pétrole ou de produits agricoles bruts. D’après le dernier rapport de la CNUCED, 83 % des pays africains sont classés comme « dépendants aux produits de base », c’est-à-dire que les matières premières non transformées constituent plus de 60 % de leurs recettes d’exportation . Cela représente 46 des 55 États du continent . Une telle concentration expose gravement nos économies à la volatilité des cours internationaux et aux chocs externes. En effet, les pays tributaires des matières premières subissent souvent une croissance instable et une vulnérabilité accrue aux crises : 90 % des pays africains les moins avancés sont dépendants des commodities, et cette dépendance va souvent de pair avec de faibles indicateurs de développement humain . Autrement dit, la rente des ressources naturelles n’a pas suffi à enrichir durablement nos populations.
Cette dépendance se reflète dans la structure même de notre commerce. L’Afrique se trouve encore au bas de la chaîne de valeur mondiale : sa part dans la production manufacturière mondiale n’est que d’environ 1,9 % . Nos exportations sont dominées par les produits bruts, tandis que nous importons la plupart des biens à forte valeur ajoutée. Entre 2011 et 2022, les produits manufacturés ne constituaient que 18,5 % des exportations africaines, alors qu’ils formaient 62 % de l’ensemble de nos importations . Ce déséquilibre commercial appauvrit le continent en l’empêchant de capturer la valeur ajoutée des chaînes de production. Concrètement, nous exportons du pétrole et importons du carburant raffiné, nous exportons du cacao et importons du chocolat, nous vendons du coton et achetons des vêtements. Pour prendre un exemple parlant : la Côte d’Ivoire et le Ghana produisent à eux deux plus de la moitié du cacao mondial, mais les paysans ne reçoivent que 3 à 6 % du prix d’une tablette de chocolat payée par un consommateur occidental. Le reste de la marge est capté par ceux qui transforment cette fève en produits finis – généralement en dehors d’Afrique. De même, l’Afrique représente environ 75 % de la production mondiale de cacao, mais presque 0 % de la production mondiale de chocolat. Cette situation illustre le manque de valorisation locale de nos ressources : en l’absence d’industries de transformation et d’innovation locale, nous laissons filer l’essentiel de la richesse créée vers d’autres régions.
Les conséquences négatives de cette spécialisation primaire se manifestent aussi dans le commerce intra-africain. Faute de base industrielle diversifiée, les échanges commerciaux entre pays africains restent très faibles. Ils ne représentent qu’environ 15 % du commerce total de l’Afrique, loin derrière les échanges intrarégionaux en Europe (70 %) ou en Asie (60 %). La ZLECAf vise justement à faire passer cette part à un niveau bien plus élevé en éliminant les barrières tarifaires et non tarifaires. Mais libérer les échanges ne suffit pas si tous les pays exportent les mêmes produits de base : augmenter le commerce intra-africain nécessite que chaque économie propose une gamme plus large de biens et services compétitifs. Or, sans un effort délibéré d’industrialisation et de diversification, le risque est que seules quelques économies déjà industrialisées tirent profit de la ZLECAf, tandis que les autres continueraient d’importer des biens manufacturés, simplement depuis un pays africain voisin au lieu d’un pays hors d’Afrique. Aucune nation ou région ne s’est développée en se contentant d’exporter des matières premières, rappelait récemment le président de la BAD Akinwumi Adesina . Diversifier rapidement nos économies et ajouter de la valeur à tout ce que nous produisons est donc un impératif si l’Afrique veut rompre avec le cycle de la vulnérabilité et de la pauvreté.
L’innovation, moteur incontournable de la production et de la croissance
Comment, alors, enclencher cette diversification tant attendue ? L’histoire économique et les données contemporaines convergent sur la réponse : en innovant et en investissant dans le savoir. L’innovation technologique est le principal déterminant de la productivité et de la croissance soutenable. Une étude du FMI souligne que le facteur numéro un de la croissance du PIB à long terme, que ce soit dans les pays développés ou en développement, est l’innovation . Les économies africaines qui ont connu les plus fortes croissances ces dernières années – comme la Côte d’Ivoire, le Rwanda ou l’Éthiopie – sont justement celles qui ont commencé à diversifier davantage leurs exportations et à améliorer leur compétitivité en misant sur de nouvelles industries. À l’inverse, les pays restant spécialisés dans quelques ressources naturelles jouent le rôle de « passive globalizers », pour reprendre l’expression de chercheurs, c’est-à-dire de participants passifs à la mondialisation, subissant les chocs et servant de simples fournisseurs de matières premières aux nations innovantes. Ces derniers restent coincés dans des cycles de croissance volatile et de crises de balance des paiements, tandis que les « active globalizers » diversifient et montent en gamme. La différence vient en grande partie de la capacité à innover et à améliorer l’efficience des processus de production.
Malheureusement, l’Afrique accuse un retard important en matière d’investissement dans la recherche et développement (R&D), ce qui compromet sa capacité d’innovation. Les chiffres sont parlants : les pays d’Afrique subsaharienne consacrent en moyenne seulement 0,32 % de leur PIB à la R&D, contre une moyenne mondiale proche de 2 %. C’est presque six fois moins que la moyenne des pays d’Asie de l’Est, par exemple. L’Union africaine s’était fixé un objectif minimal de 1 % du PIB en dépenses de R&D, mais peu de pays l’atteignent. Seuls trois pays d’Afrique subsaharienne – l’Afrique du Sud, le Kenya et le Sénégal – approchent ce seuil de 1 %, aux dernières données disponibles, tournant autour de 0,8 %. En Afrique du Nord, rares sont aussi les nations dépassant 0,5 % (la Tunisie faisant figure d’exception autour de 0,7-0,8 %). À titre de comparaison, la Corée du Sud ou Israël investissent plus de 4 % de leur PIB en R&D. Ce sous-investissement chronique se traduit par un manque d’infrastructures de recherche, de laboratoires, de programmes d’innovation dans nos entreprises et d’effectifs scientifiques.
Ce dernier point est crucial : l’Afrique souffre d’un déficit de chercheurs et d’ingénieurs. On ne compte en moyenne que 98 chercheurs pour un million d’habitants en Afrique subsaharienne, contre plus de 1 300 en moyenne mondiale, près de 1 800 en Asie de l’Est, et plus de 4 000 en Amérique du Nord ou en Europe. Cela signifie concrètement que notre continent dispose de bien moins de talents engagés à plein temps dans la création de nouvelles connaissances et de nouvelles technologies. Moins de chercheurs, c’est moins de brevets, moins d’innovations et in fine moins de nouveaux produits made in Africa. De fait, la capacité d’innovation africaine reste limitée dans les indicateurs globaux. En 2020, l’ensemble des inventeurs africains n’ont déposé qu’environ 20,000 brevets, à peine 0,1 % du total mondial, quand l’Asie en déposait plus de 590 000 la même année.
Cette situation illustre le retard du continent en matière d’innovation formelle. En 2020, les résidents africains n’ont déposé qu’un peu plus de 20 000 brevets, là où les résidents d’Asie en ont déposé plus de 700 000 la même année . Même en ajoutant les brevets déposés en Afrique par des non-résidents (souvent des entreprises étrangères protégeant leurs inventions sur nos marchés, barre marron), on reste sous 30 000 brevets en Afrique, contre plus de 800 000 en Asie. Cet écart abyssal souligne notre déficit d’innovation locale. Il s’explique en partie par les difficultés et le coût pour innover sur le continent : paradoxalement, il est plus coûteux de déposer un brevet dans des pays africains comme le Kenya, le Tchad, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire qu’en Europe ou en Amérique du Nord, si l’on rapporte ces coûts à nos niveaux de revenu . Un brevet peut coûter l’équivalent de 13 fois le PIB par habitant au Kenya, contre 0,1 fois aux États-Unis . Ces obstacles découragent l’entrepreneuriat innovant et contribuent à la fuite de nos cerveaux vers l’étranger.
Le résultat de ce faible investissement dans la science et la technologie, c’est que l’Afrique peine à passer d’une économie de rente à une économie de production. Nos structures productives évoluent trop lentement. La valeur ajoutée manufacturière (c’est-à-dire la richesse créée par l’industrie de transformation) stagne autour de 10 à 12 % du PIB africain depuis des décennies. En 2022, cette valeur ajoutée manufacturière pour tout le continent africain était estimée à seulement 180 milliards de dollars (moins de 10 % du PIB du continent) – c’est moins que la seule valeur ajoutée manufacturière de pays comme le Mexique ou la Corée du Sud individuellement. Certes, il y a eu des progrès dans quelques pays, mais dans l’ensemble, l’Afrique n’a pas encore connu l’industrialisation massive qu’ont vécue d’autres régions d’Asie ou d’Amérique. Comme l’indiquent la Commission de l’UA et AUDA-NEPAD, nos exportations restent « stagnantes et fortement concentrées sur les produits primaires », expliquant que malgré des accords commerciaux, la part de l’Afrique dans les exportations mondiales est tombée autour de 2-3 % seulement. En d’autres termes, sans innovation, nous ne produisons pas suffisamment de biens compétitifs à exporter, et nous ratons des parts de marché dans l’économie globale.
Des secteurs stratégiques à transformer par la technologie
Le tableau dressé ci-dessus n’est pas une fatalité. De nombreux secteurs offrent l’opportunité d’une montée en gamme par l’innovation, pour peu qu’on s’en donne les moyens. Voici quelques domaines clés où un investissement technologique accru peut faire toute la différence dans la capacité de l’Afrique à se diversifier et à produire davantage sur place.
L’agriculture et agro-industrie : C’est un paradoxe souvent souligné : l’Afrique possède 60 % des terres arables non cultivées de la planète et une main d’œuvre agricole abondante, pourtant le continent importe chaque année pour des dizaines de milliards de dollars de denrées alimentaires transformées. La cause ? Un manque d’innovation et d’industrialisation dans nos filières agroalimentaires. Prenons de nouveau l’exemple du cacao : l’innovation pourrait permettre de développer une industrie chocolatière africaine, créant des emplois et de la valeur ajoutée localement. Cela passe par la modernisation des procédés de transformation, l’accès à des technologies de conservation, d’emballage, de logistique, etc. De même, dans les filières café, coton, noix de cajou, fruits tropicaux – autant de productions où nous excellons – il existe un potentiel énorme de transformation locale. Les pays africains qui ont investi dans l’agro-industrie, comme le Maroc (agroalimentaire diversifié) ou plus récemment l’Éthiopie (usines de textile et de cuir), ont vu naître de nouvelles exportations et des écosystèmes d’entreprises locales. La technologie agricole (AgriTech) peut aussi jouer un rôle en amont : de nouvelles semences plus productives, l’irrigation de précision, les drones pour l’agriculture, ou les applications mobiles d’information aux agriculteurs sont des innovations qui améliorent les rendements et la qualité, ouvrant la voie à un surplus commercialisable et transformable. C’est en investissant dans la recherche agronomique et agro-industrielle que nous pourrons rompre avec le schéma où d’autres transforment et conditionnent nos produits tropicaux. Il faut saluer des initiatives comme celles du Ghana et de la Côte d’Ivoire qui tentent d’instaurer un prix plancher et de développer des unités de broyage du cacao, ou encore les start-ups agroalimentaires nigérianes ou kényanes qui commencent à exporter des produits « Made in Africa » finis (jus, café soluble, chocolat, etc.). Mais pour amplifier ces exemples, un soutien public à l’innovation est crucial – via des centres techniques, des financements, et la protection intellectuelle de nos recettes et marques.
L’énergie et ressources minérales : Le sous-sol africain regorge de métaux et minéraux critiques – cobalt, lithium, terres rares, cuivre, manganèse, etc. – indispensables aux technologies vertes et à l’industrie mondiale. Pourtant, nous continuons majoritairement d’exporter ces minerais à l’état brut, pour ensuite importer à prix d’or les produits finis issus de leur transformation (piles, panneaux solaires, smartphones, véhicules électriques, etc.).
L’innovation technologique peut nous aider à capturer une bien plus grande part de la chaîne de valeur minière. Par exemple, les batteries lithium-ion qui alimentent les voitures électriques et le stockage d’énergie pourraient être en partie produites en Afrique. Des pays comme la République démocratique du Congo ou la Zambie, riches en lithium, cobalt et cuivre, pourraient ne plus exporter simplement du concentré, mais fabriquer des composants de batteries. Cela nécessite des transferts de savoir-faire, des usines de cathodes, d’assemblage de cellules, etc., ce qui est possible si l’on crée des partenariats technologiques et si l’on forme les ingénieurs adéquats. De même, l’Afrique de l’Ouest (Liberia, Côte d’Ivoire) qui produit du caoutchouc naturel pourrait développer une industrie de pneumatiques sur le continent plutôt que d’exporter du latex vers les usines asiatiques.
L’industrialisation minière et pétrochimique – raffiner le pétrole, fondre et affiner nos minerais, fabriquer des alliages – est un volet essentiel de la diversification. Elle est indissociable d’investissements dans les technologies de transformation (par exemple la chimie verte, la métallurgie avancée, les procédés de recyclage). Certains pays montrent la voie : l’Afrique du Sud a une base industrielle dans la chimie et la métallurgie, l’Algérie et l’Égypte ont développé de la pétrochimie, le Botswana a investi dans la taille locale de ses diamants. Mais il faut aller bien plus loin et sur tout le continent, en profitant de la demande croissante de produits « verts ». Par exemple, avec l’essor mondial des énergies renouvelables, nos réserves de silicium et de terres rares pourraient nous permettre de fabriquer des panneaux solaires et des éoliennes localement. Là encore, cela passe par la création de pôles d’innovation en technologies d’énergie renouvelable, ce que l’Afrique du Sud et le Maroc ont commencé à faire (centres de recherche solaire, usines d’assemblage de panneaux). L’innovation doit aussi toucher l’infrastructure énergétique elle-même : un réseau électrique fiable est indispensable à toute industrialisation. Investir dans les réseaux intelligents, le stockage d’énergie, l’entretien prédictif via des capteurs IoT – voilà des créneaux où la technologie peut résoudre des contraintes structurelles (coupures d’électricité) qui handicapaient notre production jusqu’ici.
Santé et industrie pharmaceutique - La pandémie de Covid-19 a servi d’électrochoc en révélant la dépendance extrême de l’Afrique pour les produits médicaux et pharmaceutiques. Au plus fort de la crise, le continent a peiné à obtenir des tests, des équipements de protection, des respirateurs, et bien sûr des vaccins, car nous ne fabriquions presque rien sur place. Un chiffre illustre cette dépendance : l’Afrique importe 99 % de ses vaccins . Autrement dit, moins de 1 % des vaccins administrés aux Africains sont produits localement. Cette situation critique a poussé l’Union africaine à lancer un plan pour atteindre 60 % de vaccins fabriqués en Afrique d’ici 2040. Cela exige de bâtir des usines, de former des chercheurs, de nouer des partenariats avec les grands laboratoires internationaux, et surtout de stimuler la recherche biomédicale africaine. Il est encourageant de voir émerger des initiatives comme l’institut Pasteur de Dakar qui produit des vaccins, la Biovac en Afrique du Sud, ou les centres d’excellence en génomique au Nigéria et au Kenya. Investir dans l’innovation médicale ne sauvera pas que des vies : c’est un secteur économiquement porteur (la dépense de santé va croissant avec la classe moyenne) et stratégique. La production locale de médicaments génériques, de vaccins, de kits de diagnostic ou même de dispositifs médicaux simples (seringues, gants, masques, etc.) devrait être une priorité industrielle. Outre la volonté politique, cela nécessite de renforcer nos capacités de R&D pharmaceutique – par exemple via des partenariats entre universités, hôpitaux et entreprises pour développer des traitements adaptés aux maladies endémiques en Afrique (paludisme, fièvre Lassa, etc.). La bonne nouvelle est que certains pays comme l’Égypte, le Maroc ou la Tunisie ont déjà un pied dans cette industrie pharmaceutique avec des usines de génériques ; il faut élargir cette base à l’ensemble du continent. La ZLECAf, en harmonisant les réglementations et en agrandissant le marché, peut favoriser l’essor de champions pharmaceutiques africains capables de fournir tout le continent si on les appuie technologiquement.
Économie numérique et services innovants - L’innovation n’est pas que manufacturière – elle touche aussi les services, un domaine où l’Afrique a commencé à montrer son dynamisme. Le continent a déjà innové mondialement dans les services financiers mobiles, à l’image du Kenya où près de 50 % des transactions monétaires se font via le mobile money (M-Pesa et consorts). Cette innovation frugale née en Afrique de l’Est a fait école et a contribué à l’inclusion financière de millions de personnes. Elle montre qu’avec un bon usage de la technologie, on peut contourner des infrastructures défaillantes (ici le manque de banques physiques) et créer de nouveaux secteurs entiers. De même, on voit proliférer des start-ups africaines dans le e-commerce, la logistique, la e-santé, l’edTech ou les applications de transport (pensons à SafeBoda en Ouganda, à Yego au Rwanda, à Jumia présente un peu partout, etc.). Ces entreprises du numérique commencent à attirer des investissements significatifs – plus de 5 milliards de dollars de capital-risque ont été levés par les start-ups africaines en 2022. Pour soutenir cette dynamique, il faut investir dans les infrastructures (Internet haut débit, accès à l’électricité), mais aussi dans la formation en compétences numériques et la protection de la propriété intellectuelle (dépôts de logiciels, brevets, etc.), afin de retenir et monétiser nos innovations digitales. La ZLECAf inclura un protocole sur le commerce numérique, ce qui devrait faciliter l’expansion transfrontalière de ces services innovants sur tout le continent . Imaginons une application africaine de télémédecine ou d’e-learning conquérant des dizaines de marchés nationaux unifiés : c’est possible si le cadre réglementaire est harmonisé et si les entrepreneurs bénéficient d’appuis (incubateurs panafricains, investissements, etc.). Les services représentent déjà plus de 50 % du PIB africain , et le numérique peut en augmenter fortement la productivité. Néanmoins, rappelons que beaucoup de ces progrès technologiques (smartphones, serveurs cloud…) reposent in fine sur du matériel que nous n’avons pas conçu ni fabriqué. D’où l’importance de ne pas négliger l’innovation « hardware » également (microélectronique de base, fabrication assistée, etc.), afin de ne pas dépendre uniquement d’importations pour notre révolution numérique.
Tous ces secteurs – agriculture, mines, énergie, santé, services – convergent vers la même conclusion : sans innovation endogène, pas de diversification économique durable. L’innovation est le chaînon manquant qui relie le potentiel brut dont regorge l’Afrique (ressources naturelles, population jeune, marché en croissance) à la création de valeur ajoutée et d’emplois qualifiés sur le continent. Chaque dollar investi dans la recherche scientifique, dans un ingénieur formé, dans un centre technologique, est un dollar investi dans notre capacité future à produire localement ce que nous consommons, et à exporter ce que nous concevons. C’est ainsi que nous pourrons briser le cercle vicieux de la dépendance et entrer dans un cercle vertueux de prospérité partagée.
La ZLECAf, catalyseur à exploiter – à condition d’être prêt
Revenons à la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine, ce grand projet qui motive tant d’espoirs. La ZLECAf n’est pas une fin en soi, mais un cadre incitatif : elle supprimera progressivement 90 % des tarifs douaniers entre pays africains et réduira d’autres barrières, ce qui abaissera le coût d’accès aux marchés régionaux. Si elle est pleinement mise en œuvre, la ZLECAf pourrait augmenter le revenu régional de 7 % (soit 450 milliards $ de gain) d’ici 2035 et sortir 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté. Elle pourrait aussi faire croître de 81 % les exportations intra-africaines d’ici 2035, surtout en faveur des produits manufacturés. Ces projections sont encourageantes, mais elles supposent que nos pays soient capables de produire des biens et services compétitifs pour alimenter ce surcroît de commerce. On ne profite d’un marché élargi que si l’on a quelque chose à y vendre de manière efficace. C’est ici que la nécessité d’un changement de paradigme se fait sentir : sans transformation structurelle de nos économies, la ZLECAf pourrait n’entraîner qu’une redistribution marginale de richesses, voire creuser l’écart entre pays exportateurs de produits transformés et pays exportateurs de brut.
En clair, libéraliser le commerce sans bâtir de capacité productive ne suffit pas. Comme l’affirme la Banque mondiale, « la création d’un marché continental requiert des efforts déterminés pour réduire tous les coûts commerciaux, mais les pays capables d’accompagner ces réformes en améliorant la productivité et l’innovation de leurs entreprises en tireront le plus de bénéfices ». Cela signifie que chaque État doit prendre des mesures complémentaires à la ZLECAf : investir dans les infrastructures (transports, énergie, télécoms) pour faciliter la logistique commerciale, améliorer l’accès au crédit pour les entrepreneurs, harmoniser les normes et réglementations, et surtout soutenir l’innovation locale pour que nos PME puissent monter en gamme. La Phase II de la ZLECAf, qui porte sur les politiques d’investissement, la concurrence et la propriété intellectuelle, sera déterminante à cet égard . Par exemple, la mise en place d’une propriété intellectuelle panafricaine harmonisée réduira les coûts et complexités de protection des innovations d’un pays à l’autre, levant un frein que nous avons identifié plus haut. De même, des politiques coordonnées pour attirer des investissements directs étrangers dans l’industrie (plutôt que dans l’extraction) peuvent orienter les capitaux vers les secteurs à forte valeur ajoutée que nous souhaitons développer.
La ZLECAf offre aussi l’opportunité de créer des chaînes de valeur régionales. Tous les pays n’ont pas besoin de tout produire de A à Z ; grâce à la libre circulation, ils peuvent se spécialiser sur des segments complémentaires. Par exemple, on peut imaginer un écosystème automobile africain où un pays fabrique des composants électroniques, un autre assemble les véhicules, un autre fournit l’acier et le cuir, etc., le tout pour fournir le marché continental. Cela nécessite de la coordination industrielle régionale et le développement de compétences spécifiques dans chaque nœud de la chaîne. L’innovation joue ici un rôle dans l’adaptation de technologies importées aux réalités locales – ce que certains appellent l’« innovation d’adaptation ». L’Asie de l’Est a su le faire en son temps, en important des technologies occidentales puis en les améliorant et en les déployant à grande échelle localement. L’Afrique doit en faire autant, en exploitant la ZLECAf comme un laboratoire géant où nos entrepreneurs peuvent tester des produits sur un marché de centaines de millions de clients, ajuster leurs modèles, grandir, avant de viser le marché mondial.
La ZLECAf peut être le catalyseur de la transformation économique de nos pays, mais seulement si nous engageons parallèlement le chantier de l’innovation et de la recherche. Sinon, nous risquons de voir le libre-échange profiter principalement aux économies ayant déjà un tissu industriel diversifié, ce qui accentuerait les disparités régionales. À l’inverse, un effort conjoint pour renforcer l’innovation dans tous les pays offrirait la perspective d’une croissance partagée, où même les pays aujourd’hui moins industrialisés pourraient trouver leur créneau (par exemple, les technologies agricoles pour les pays à forte vocation agro, les applications mobiles pour les pays à forte jeunesse connectée, la transformation minière pour ceux riches en minerais, etc.). Le défi est donc double : mettre en œuvre la ZLECAf et effectuer en parallèle ce changement de paradigme vers l’économie de la connaissance.
Conclusion : mon engagement pour une Afrique innovante et prospère
En tant que candidat au poste de Commissaire Développement Économique, Industrie, Commerce, Tourisme et Mines (ETTIM) de l’Union africaine, je mesure l’ampleur du défi qui nous attend, mais aussi l’urgence d’y répondre. Les rapports et études récents que j’ai cités dressent un constat clair : sans innovation, il n’y aura pas de diversification économique durable en Afrique, et sans diversification, la ZLECAf ne tiendra pas toutes ses promesses de prospérité. Il est temps d’embrasser un nouveau paradigme de développement centré sur la science, la technologie et l’entrepreneuriat. Concrètement, cela implique d’accroître significativement les budgets de R&D, de soutenir nos universités et centres de recherche, de favoriser les synergies entre chercheurs et industriels, de créer un environnement où nos innovateurs (notamment les jeunes) peuvent émerger et protéger leurs inventions, et de nouer des coopérations internationales équilibrées pour le transfert de technologies.
Mon engagement, si j’ai l’honneur de servir en tant que Commissaire ETTIM, sera de placer l’innovation au cœur de toutes nos politiques économiques. Je m’engage à promouvoir des initiatives telles que : un Fonds africain pour l’innovation alimenté par les États et les partenaires, destiné à financer des projets technologiques stratégiques ; la mise en réseau des pôles d’excellence technologiques africains (de Dakar à Nairobi, du Caire à Cape Town) pour qu’ils partagent connaissances et équipements ; l’harmonisation des réglementations sur les start-ups et la propriété intellectuelle à l’échelle continentale, pour créer un véritable marché commun de l’innovation ; le soutien aux PME industrielles via des incubateurs, du mentorat, et un accès facilité aux financements bancaires et au capital-risque ; et bien sûr, l’articulation de tout cela avec les programmes de la ZLECAf, afin que nos négociations commerciales intègrent pleinement les enjeux de développement technologique.
Je suis convaincu que l’Afrique possède le talent, l’énergie entrepreneuriale et les ressources nécessaires pour réussir ce saut qualitatif. Ce qu’il faut, c’est une vision courageuse et une action concertée pour sortir de la dépendance aux schémas anciens. Il s’agit d’inventer une nouvelle Afrique, fabriquée par l’Afrique – “Made in Africa”. Une Afrique capable de nourrir sa population avec ses propres innovations agroalimentaires, de soigner ses citoyens avec ses propres vaccins et médicaments, de connecter ses villages avec ses propres solutions numériques, et d’exporter vers le monde entier non plus seulement du pétrole, du cacao ou des métaux, mais des produits et services à haute valeur ajoutée issus de l’ingéniosité africaine. En tant que candidat commissaire ETTIM, je mets toute mon expérience et ma détermination au service de cet objectif : faire de la ZLECAf un succès en dotant l’Afrique des moyens technologiques de ses ambitions, et ainsi ouvrir une nouvelle ère de prospérité et de fierté pour notre continent. C’est un engagement que je prends, fermement décidé à passer des paroles aux actes pour qu’enfin l’Afrique récolte le fruit de ses richesses et du travail de sa jeunesse, grâce à l’innovation et à l’unité économique. Je crois en une Afrique qui innove, qui produit et qui gagne – et c’est cette vision que je porterai inlassablement.
Sources citées : Études et rapports de la CNUCED, de la Banque mondiale, du FMI, de l’UNESCO, de l’ONU et de la BAD, ainsi que diverses analyses récentes sur la ZLECAf, l’innovation et l’économie africaine. Les données et exemples présentés s’appuient notamment sur le Rapport économique sur l’Afrique 2024 de l’UNCTAD, les statistiques de l’UNESCO sur la recherche, des articles de la Brookings Institution, du Foresight Africa 2020/2024, des publications du FMI (Finance & Development) et de la Banque africaine de développement, ainsi que sur des communiqués et études sectorielles (agro-industrie, pharma, etc.) qui mettent en lumière les défis et opportunités de la transformation structurelle du continent. Ces références soulignent toutes le même message : l’urgence d’investir dans le capital humain, la science et la technologie pour bâtir l’Afrique résiliente et prospère de demain. Mes convictions et mon projet pour l’ETTIM s’en trouvent renforcés – et j’invite chacun, du décideur au citoyen, à prendre part à cet élan de renaissance par l’innovation. En avant vers une Afrique nouvelle, diversifiée et innovante !



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